Pendant trois ans, au début des années 1980, ces deux noms, Herreshoff et Fife, ont été pour moi une obsession. Pour le premier, je n’avais que les petits carnets de cotes que Nat Herreshoff avait relevé sur les demi-coques qu’il avait taillées, récupérés malgré le blocage du conservateur d’alors de la Hart Nautical Collection au MIT, à Boston. Pour le second, nous nous étions, Jacques Taglang et moi-même, procurés des tirages des plans originaux conservés au National Maritime Museum de Greenwich. Le début d’une passion pour ce duo hors normes qui a révolutionné la voile de compétition.
Texte : François Chevalier Photos : Librairie du Congres US, Mitchell Library, et Collection Chevalier-Taglang
Je m’étais imposé la tâche de remettre tous les plans de forme et de voilure de tous les voiliers construits pour l’America’s Cup sous la même forme de représentation, afin que l’on puisse aisément voir les différences entre les bateaux. Le pari était de taille, et en ce qui concerne Nat Herreshoff, les milliers de cotes en pieds, pouces et seizième de pouce, prises avec son appareil de précision sur les demi coques qu’il avait taillées, à l’intersection de chaque bordé sur chaque couple, représentait un travail de titan, comme si j’avais à retracer en salle ces plans pour leur construction.
Herreshoff travaillait sans plans.
À cette époque, aucun des plans de forme de ces voiliers d’Herreshoff, pourtant tous célèbres, n’avaient été fidèlement reconstitués. Lui-même n’en dessinaient jamais, se contentant de ses fameux carnets de notes qui servaient à tracer les plans de construction, puis le traçage en salle des couples et le positionnement des bordés. Avant de tailler ses blocs de bois, il dessinait quand même des schémas préliminaires, qui sont restés longtemps inédits dans les archives du chantier. L’historien américain, architecte amateur et journaliste, William P. Stephens, a bien publié quelques plans de forme qu’il a relevé sommairement sur les demi-coques du New York Yacht Club, qui sont des copies des originaux conservés aujourd’hui au Herreshoff Marine Museum à Bristol, dans le Rhode Island. Le règlement du New York Yacht Club obligeait alors les propriétaires de yacht de déposer au club une demi-coque de leur bateau.
William Fife connait la notoriété aux États-Unis.
En redessinant de façon traditionnelle, c’est à dire sur calque, à l’encre, avec un matériel composé de lattes souples et de plombs, des perroquets et des pistolets, on peut apprécier la différence profonde qu’il existait entre les démarches de ces deux architectes de génie. En effet, une fois les plans mis à la même échelle et les différentes vues, de profil, avec leurs coupes longitudinales, en plan, avec les lignes d’eau, et les sections coupées suivant les mêmes références, il ne restait plus qu’à tracer l’ensemble au propre. De toute évidence, les lignes sur les plans de William Fife, coulaient d’elles-mêmes, le rapido (un stylo à encre de chine calibré à 0,3 millimètres) suivait les lattes tenues par deux ou trois plombs le plus aisément du monde. En revanche, pour les plans du Sorcier de Bristol, il fallait souvent tous les plombs pour forcer les courbes à suivre le bon tracé. Les différences s’avéraient de fait. L’un privilégiait la fluidité des lignes, et par là, l’écoulement de l’eau le long de la coque, réalisant des formes de toute beauté. L’autre créait des formes qui répondent à des critères de surface mouillée, de finesse d’entrée d’eau, de raideur, d’allongement des lignes à la gîte, en cherchant le meilleur compromis par rapport au calcul de la jauge en vigueur. En deux mots, l’un soigne la beauté de l’objet, l’autre son efficacité.
Victoires en régates
Si l’on ne regarde que les résultats, il n’y a pas photo, Nat a dessiné entre 1893 et 1914 sept voiliers vainqueurs pour six défis dans l’America’s Cup, Vigilant (1893), Defender (1895), Columbia (1899 et 1901), Reliance (1903) et Resolute (1914, épreuve courue en 1920). William Fife a conçu et construit deux Shamrock, le I pour le défi de 1899 et le III pour celui de 1903, sans la moindre victoire. Cela ne veut pas dire que les bateaux de William Fife ne sont pas rapides. […]