Il s’était donné 10 ans, pas un jour de plus. Dix ans pour tenter de déboulonner la fameuse Coupe en argent de la prestigieuse alcove construite spécialement dans l’enceinte du New York Yacht Club au 19ème siècle. Marcel Bich aura marqué d’une empreinte incomparable l’histoire du yachting made in France. Texte: Bruno Troublé. Photos: DR
Il s’était donné 10 ans, pas un jour de plus.……10 ans pour tenter de déboulonner la fameuse Coupe en argent de la prestigieuse alcove construite spécialement dans l’enceinte du New York Yacht Club au 19ème siècle.
Les années 60/70 sont celles où la France découvre la voile dans le sillage de la victoire de Tabarly en 1964. On commence à s’enthousiasmer pour les vacances sur un bateau et les offres se multiplient: De grands chantiers naissent puis doublent leur chiffre d’affaires tous les ans! Jeanneau, Mallart , Dufour , Bénéteau: la plaisance française inonde le monde…. Le salon au CNIT est un immense succès…
Le baron Bich est au centre des conversations. L’idée qu’un français –plutôt plus paysan que marin – puisse défier la voile mondiale séduit et interpelle.
Son aventure a marqué ces années et mérite d’être racontée.
Marcel Bich a échoué mais, grâce à ses quatre tentatives successives, il a réussi à exister avec panache dans ce petit aréopage d’entrepreneurs flamboyants……et un peu flambeurs !
Très conscient du retard de la France en matière de bateaux de course à l’époque du contreplaqué, d’Herbulot et des prémices de la voile populaire, Il croyait pourtant avoir tout bien imaginé et tout bien fait, en marge d’une plaisance française naissante.
L’histoire est cocasse…
Faire dessiner un bateau aux USA par l’un des meilleurs architectes mondiaux (Britton Chance), le faire construire par le meilleur chantier en Suisse (Hermann Egger)… Puis installer une ‘’succursale’’ du chantier Suisse à Pontarlier pour que les charpentiers d’Egger le construisent à nouveau, quasiment à l’identique, cette fois en France prouve une imagination débordante. On n’a pas fini de rire de ce travail frontalier à l’envers… Ce ne sont pas des français qui viennent chaque jour travailler en Suisse mais l’inverse!
A la fin des années 60, Le Baron Bich a son plan…. Sa discrétion même est un gage de succès.
A l’image de Lipton un demi-siècle avant lui, Marcel Bich ne fait pas état de sa fortune. Inutile. Il porte lui-même le nom de ses stylos et rasoirs. Inutile d’en faire plus ! Il bannit au contraire, toutes les idées qui conduiraient les uns et les autres à utiliser dans la vie de tous les jours des objets marqués Bic : aucune camionnette portant la marque, si populaire, de produits courants ne se hasarde dans les avenues hyper élégantes de Newport. Ce serait de très mauvais goût !
Il cultive le mythe du self made-man plein de bon sens et discret qui s’attaque à l’énorme marché américain.
C’est donc Eric Tabarly qui l’a inspiré. Lorsque Eric gagne la Transat anglaise en 1964, il ne s’agit pas d’une vraie course mais d’un rallye à travers l’Atlantique regroupant quelques retraités anglais sur de petits bateaux. Tabarly arrive dans cette course avec sa jeunesse, son professionnalisme – Il est détaché par la Marine Nationale – et navigue sur un bateau beaucoup plus gros et conçu pour le solitaire.
Il ne fait qu’une bouchée des vieux marins anglais dont le héros, Francis Chichester.
Le Général de Gaulle n’aime pas trop les anglais et trouve avec la victoire de Tabarly, une bonne raison de les narguer : Il descend les Champs Elysées avec Tabarly et monte la victoire de Pen Duick en épingle …
Tabarly deviendra ainsi, 10 ans avant Dennis Conner, le premier professionnel de la course à la voile moderne.
Le Baron Bich suit comme tout le monde le succès de Tabarly et de son Pen Duick… Il a une idée au moment même où il décide d’investir le marché américain: se lancer dans la fameuse Coupe de l’America avec un bateau portant son nom ‘’Pen Bic”.
Le NYYC calmera ses ambitions et lui expliquera qu’on ne peut utiliser un nom commercial… Bich est déçu mais il est séduit par cette extraordinaire saga des temps modernes. Il suffit que quelqu’un de son entourage lui affirme que le plus vieux trophée sportif n’a pas été gagné depuis plus d’un siècle, qu’il est impossible à gagner…. Pour qu’il décide de s’y attaquer!
‘’Chancegger’’ est donc construit par Egger dans le canton de Vaud. Il va servir de lièvre tout comme Constellation, le merveilleux 12m de Stephens racheté aux américains. Les plans de Chancegger seront très légèrement modifiés par André Mauric qui ajoutera un bouchain à l’arrière. Une bonne idée!
J’ai toujours été tenté de parler à Mauric de cette aventure, sans succès! Comment a-t-il pu accepter de copier purement et simplement un bateau américain pour concevoir France 1 et le signer? C’est toujours resté un mystère.
Déçu de sa défaite mais encouragé par l’intensité des duels contre le bateau Australien Gretel, Le Baron Bich repart à l’attaque et fait cette fois confiance au plus grand champion de l’époque: Pol Elvström. Lors d’un convoyage en mer baltique, France 1, en remorque et sans équipage, fait une embardée et se remplit d’eau. Il coule en quelques minutes. Les hommes d’Elvström n’ont rien vu! Marcel Bich est fou de rage et met brutalement un terme à cette collaboration danoise. Pas le temps de lancer un autre projet et France 1 vieux de 4 ans représentera la France à Newport en 1974 avec Jean Marie Le Guillou à la barre …. Sans grand succès: pas facile de faire deux America’s Cup de suite avec le même bateau!
Bich ne baisse pas les bras! Il s’est donné 10 ans pour atteindre son objectif et il en reste encore 6…
Pour 1977, Bich a spontanément donné sa chance à André Mauric en lui confiant la conception de France II. Le Marseillais est apprécié et ses bateaux sont très performants. C’est certainement le meilleur architecte naval français de l’époque.
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