Pas de pause pour les passionnés de voile (et de montagne). Tous les hivers, des marins sans vague s’en donnent à cœur joie sur des voiliers qui dépassent les vitesses autorisées sur autoroute. Pour de nouveaux paysages, pour un bol d’air, d’adrénaline, et pour aiguiser son instinct de barreur.
Texte : Denis Christophe. Photos : Gilles Morelle et YACHTING Classique
Tout d’abord tester la glace avec un long pic. Il s’agit d’éviter de passer à travers au premier pas, pire au dixième lorsqu’il est trop tard pour faire demi-tour. Si la pointe s’enfonce trop, ce ne sera pas la peine de descendre le matériel du toit de la voiture.
Nous sommes en février en compagnie de Philippe Dürr, multiple champion du monde de voile sur 6 MJI. Le skipper vaudois a bien noté que ces dernières nuits, le thermomètre est descendu à – 20 % au Lac des Rousses, sur la montagne du Jura à une heure de chez lui.
L’origine de la voile sur glace remonterait au XVIIe siècle aux Pays-Bas. Des patins étaient déjà placés sous les bateaux à voile pour qu’ils puissent se déplacer sur les canaux gelés. Cette activité de loisir reste très attendue tous les ans par une bonne partie du pays, même si, hélas, le nombre de jours possibles diminue d’années en années à cause du réchauffement climatique…
Sur les plans d’eau de montagnes ou sur les lacs nord-américains, en Pologne ou encore sur le lac Baïkal en Russie, le sujet est moins sensible…à l’heure de YACHTING Classique numéro 98. Les amateurs de sensation fortes n’attendent que la glace prenne pour s’y donner rendez-vous pour des régates acharnées.
Côté compétition, il existe six types de voiliers, dont le DN qui est petit, léger et moins coûteux. L’engin à trois pattes permet d’atteindre jusqu’à cinq fois la vitesse du vent avec des pointes à près de 140 km/h (On ne parle pas en nœuds dans cette discipline). L’impression de vitesse est triplée par rapport à la voile sur l’eau. Les sensations de risques vont de pair : la dureté de la glace en a refroidi plus d’un.
Tout le monde n’est donc pas apte à encaisser une telle dose d’adrénaline au moindre souffle d’air. Sauf les livreurs de journaux du lac Michigan du siècle dernier?
Fin de la devinette: DN sont les initiales de Detroit News, le quotidien de la ville industrielle nord- américaine. La direction du journal eut la bonne idée en 1936 de faire livrer en express son journal des bords du Lac Michigan par des chars sur patins lorsque l’hiver empêcha toute navigation et même souvent circulation sur les routes verglacées et enneigées. Gain de temps garanti pour diffuser les news. Moins rapide qu’internet mais tellement plus amusant qu’il ne restait plus qu’à organiser des régates pour assoir un peu plus la notoriété du journal.
Aujourd’hui la classe DN organise des championnats du monde où l’on retrouve outre de nombreux canadiens, américains, suédois, finlandais, polonais, nombres de champions des «pays de l’est ».
Philippe Dürr est donc rassuré sur la solidité de la glace. En grand habitué des lacs et avec sa science de champion, il a déjà repéré d’où viendrait le vent après avoir jeté un coup d’œil sur la cime des arbres alentours. Ce ne sera pas de la bise mais pour une remise en route, cela fera bien l’affaire. Il faudra juste aller glisser vers là-bas, au fond à droite et réussir son demi-tour pour ne pas casser la vitesse du bateau, non, du DN. Ce que l’auteur de ces lignes n’arrivera pas à faire lorsque lui sera offert le privilège de tester cet engin gracile et semblant fragile.
Le montage de l’ensemble est réalisé à même la glace en quelques minutes comme on le ferait pour préparer un 505 ou 49er. Avec une nuance: il faut choisir la longueur des patins du jour. Au vu de la surface moyennement plate de la glace, il sera choisi des patins longs, moins rapides à cause d’une surface en contact augmentée, mais garantissant un meilleur passage dans les irrégularités et donc plus directifs dans les virages. Cela peut servir quand il faut virer la marque de parcours sans se vautrer sur d’autres concurrents. Mais pour ce qui qui est de l’épreuve du jour, ce mieux pour pouvoir faire demi-tour avant d’arriver dans des zones moins gelées du lac des Rousses.
Après une poussette de quelques mètres comme on le fait avec un bobsleigh ou le faisait avec une moto au départ d’une course dans les années 80, le skipper (pilote, barreur?) saute dans son frêle esquif. Position allongée: La barre qui actionne le patin avant est tenu par l’entre jambes; les mains, calées consciencieusement le long du corps pour ne pas faire de prise au vent, s’occupent de l’écoute de grand-voile. En 3 secondes, l’équipage disparaîtra au loin avec comme seul indice de vie à bord: un bout de casque. Que se passe- il dessous? «Le plaisir de la glisse, confie Philippe. On va vite tout de suite, sans trop d’apprentissage, continue-t-il, mais aller très vite, il faut vingt ans de pratique, le temps de débrancher quelques neurones».
Et le champion suisse d’expliquer ce que cela lui apporte dans sa discipline sur l’eau : «La remise en question permanente. Cet engin est tellement sensible qu’un bon réglage d’un jour, peut-être un mauvais réglage le lendemain: choix des patins, mais aussi position du mât, la quête, choix de la voile, plus ou moins creuse.» De la voile à l’état pur ?
À lire et à voir dans YACHTING Classique N° 98 actuellement en vente .