VOILIER D’EXCEPTION – Serenade, conçu par Nicholas Potter en 1938 pour la Trans Pacific Yacht Race, a rejoint les eaux de la Méditerranée pour le compte d’un célèbre marchand d‘art. Célèbre, un mot qui lui colle à la coque… Le violoniste Jasha Heifetz, Humphrey Bogart, Jacques Cousteau, autant de célébrités amoureuses du beau qui contribuent à faire de ce sloop si singulier une légende flottante. Par Emmy Martens avec Jacques Taglang – Photos de l’auteure.
Régates des Voiles d’Antibes, juin dernier, le soleil cogne, le soleil dore. Une faible brise méditerranéenne venue du large pousse le yacht couvert de toile vers la bouée n°3, sa gite lé- gère dévoile la splendeur de sa longue coque blanche de 19 mètres fraîche- ment repeinte. Elle révèle toute sa singularité. Avec son arrière en étrave canoë toute en finesse, Serenade est reconnaissable au premier coup d’œil parmi les 80 Classiques qui concourent pour le trophée Panerai. Une risée s’engouffre dans ses voiles flambantes, le couchant un peu plus sur son flanc presque rond, c’est alors un plan de pont tout aussi particulier que sa ligne que l’on découvre sous les pieds nus des quatorze nombreux équipiers en polo bleu nuit. Légère- ment brun et presque rêche lorsqu’on l’effleure comme une peau tout juste dorée par de doux rayons de printemps, un pont qui a vécu mais que l’on a su entretenir.
UN ÉLÉGANT CAPOT QUART DE ROND
On y découvre pas moins de trois trappes qui donnent accès au ventre du yacht. La descente, comme beau- coup de plans du célèbre designer américain Nicholas Potter, se fait par le milieu, juste à l’arrière du mât sur le petit roof. Elle est légèrement décentrée sur tribord pour éviter de se trouver sous la bombe. C’est pareil pour celle située sur le grand roof, juste à l’avant du cockpit, mais à bâbord cette fois-ci. À l’avant, la dernière descente, nichée sous un élégant capot quart de rond, permet un accès facile à la soute à voiles ainsi qu’à la cuisine. Sur le large roof de bois vernis s’agrippent cinq winchs en bronze. Deux autres, à l’arrière du bateau, viennent encercler le confortable cockpit. Il abrite une barre à roue et un antique com- pas signé d’un certain Herreshoff, un ami de longue date de Nicolas Potter. On les aurait bien imaginés tous les deux installés dans le confortable carré de Serenade, comparant leurs dessins, au chaud près du poêle en bronze. Comme beau- coup de petits détails, il est resté là, comme le pommeau de douche à l’avant, l’escalier en colimaçon, ou les quelques lumières agrippées au bois d’orme d’Amérique que recouvre l’intérieur. L’aménagement a délicatement été modifié. Il compte à l’arrière un belle cabine propriétaire, une pour l’équipage, deux toilettes ainsi qu’une cuisine. Rien n’est superflu ni ostentatoire, la simplicité toute en élégance.
SERENADE SORT D’UN CHANTIER IMPORTANT
Le vent faiblit encore et ce n’est pas une bonne nouvelle. Le vieux sloop au gréement 7/8 se sent mieux dans la brise, assurément. Malgré les recommandations du skippeur Hugues Boulenger, l’équipage peine à trouver de la vitesse. ll faut dire aussi que le calendrier des régates du circuit méditerranéen ne leur a guère laissé le temps d’apprivoiser le yacht, qui semble aussi sensible que le souffle d’Antipolis.
Envoyé des États-Unis à Gènes, Serenade était décrit comme un bateau prêt pour la régate. En fait, ….
UN CLASSE N DE LA JAUGE UNIVERSELLE – Voilà pratiquement un an que Serenade fait entendre sa jolie mélodie en Méditerranée. Par la grâce de son armateur, Alain Moatti, l’un des plus grands experts mondiaux de l’art et des bronzes de la Renaissance. Nicholas « Nick » Sheldon Potter (1897-1976), surnommé le «Herreshoff de l’Ouest», trace les lignes de ce superbe sloop marconi en 1937. En effet, Nick – un temps installé en Californie avait appris le métier aux côtés de Nathanael Herreshoff, le Sorcier de Bristol. Il achèvera son initiation chez William Starling Burgess. Potter crée donc Serenade pour le compte d’un autre maître et ami: Jascha Heifetz (1901-1987), considéré comme l’un des plus grands violonistes du XXe siècle. Répondant aux normes de la Classe N de la Jauge Universelle imaginée par Herreshoff en 1904, le yacht est prévu pour disputer la Transpac (San Francisco-Honolulu) de 1938. La course sera annulée, ce qui n’empêchera pas Heifetz et son épouse de croiser à bord du voilier le long de la Côte ouest avec leurs amis, Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Dick Powell ou Spencer Tracy… En 1942, Serenade passe entre les mains des frères Hart et Charles Isaacs, riches promoteurs immobiliers d’Hollywood. Pour la petite histoire, il faut savoir que Charles est le mari de l’actrice Eva Gabor dont elle divorce en 1949. Pour ce faire, elle incrimine l’amour exclusif que son conjoint porte au voilier : « Il ne voulait pas avoir d’enfants au contraire de moi. Il avait un yacht, Serenade, sur lequel il se retrouvait avec ses copains. Ils y menaient une vie de garçons à laquelle je n’étais jamais associée. Il disait qu’il était le plus heureux des hommes, là, sur son bateau… » Entre 1967 et 1970, le sloop est repris par deux armateurs avant de devenir la propriété de Philippe-Pierre Cousteau (1940-1979). Mais après l’accident mortel de Philippe, tué par l’hélice de son hydravion en juin 1979, le bateau est re- vendu à Philipp Evans Kamins. Celui-ci le met au charter. Le yacht change d’océan après le passage du canal de Panama et rejoint les îles Vierges, jetant l’ancre à Saint-Thomas. En 1982, Serenade se retrouve à Chicago, sur les Grands Lacs, où il croise sous la bannière de David Topping. En 1998, Glenn Kim, déjà propriétaire d’un plan Potter à coque-canoë, le 8 mJ¡ Angelita, médaille d’or aux JO de 1932, s’offre le Classe N. William Cannell le restaure à Camden dans le Maine, entre 1999 et 2000. Nick Potter avait demandé qu’à sa mort tous ses plans soient détruits. Ce- pendant, quelques esquisses de Serenade furent retrouvées dans les papiers person- nels de Jascha Heifetz. Elles furent d’un grand secours pour Cannell. Fin 2014, Alain Moatti, passionné de voile, s’offre, en bonne logique, ce superbe yacht classique, chef-d’œuvre de l’éphémère.