Après un démarrage exigeant physiquement, les équipages de la Panerai Transat Classique 2015 continuent de pousser leurs « vieilles dames » au maximum. Entre les options Nord et Sud très opposées, l’évolution des alizés dans les prochains jours pourrait chambouler la donne.
Avec 273 milles parcourus en 24 heures (11,4 nœuds de moyenne), Altair a dépassé les 260 milles de son précédent score et, encore plus fort, la grande goélette de 1931 a parcouru 1 000 milles dans les 4 premiers jours de course (10,4 nœuds de moyenne), objectif que s’était fixé son capitaine Stephane Benfield, avant le départ de la Panerai Transat Classique 2015. A n’en pas douter, William Fife III, le génial architecte écossais, doit se réjouir de voir l’une de ses créations réaliser, 84 ans après son lancement, une telle performance. Et s’enorgueillir davantage encore en découvrant qu’Adventuress, un autre de ses plans construit en 1924 – et plus vieux voilier de la flotte –, mène la course avec une poignée de minutes d’avance sur Altair. Le duel annoncé entre les « dragons », symbole gravé à l’étrave de ses bateaux, du Maître de Fairlie, son village sur les bords de la Clyde, a bien lieu et tient toutes ses promesses.
On ne lâche rien. Devant de telles locomotives, les autres concurrents de la course doivent mener un train d’enfer pour tenter de rester au contact. La barre des 200 milles par jour est franchie par plus de la moitié des compétiteurs, les 8 nœuds de moyenne, quand ce ne sont pas 9, tenus jour après jour. A ceux qui pouvaient penser que les équipages n’oseraient pas pousser ces « vieilles dames » dans leurs retranchements, les chiffres apportent des démentis cinglants. Vagabundo II et Desiderata s’accrochent et leur persévérance paie en les gratifiant de belles 5e et 7e places, en temps compensé, avec quelques heures à peine de retard sur les leaders. Argyll, le plan Stephens de 1948 a chipé la 3e place à Gweneven pour vingt petites minutes, et The Blue Peter, l’élégant plan Mylne de 1930, enchaîne les journées à plus de 200 milles. Les messages reçus de chaque bord montrent une détermination totale à pousser les montures et à ne rien céder aux autres, à l’exemple d’Oren Nataf, sur Gweneven, le plus petit voilier de la compétition : « Nous naviguons bord à bord avec Corto depuis ce matin. Il est légèrement plus rapide, mais on est des acharnés et on ne lâche rien. Ils viennent d’affaler le grand spi et nous on garde notre grand spi lourd avec 26 nœuds de vent. Lucas, Gildas et Clément sont à la barre et on profite de la nuit pour gagner quelques milles. La bataille fait rage et nous avons doublé hier Desiderata que nous avons joint par VHF. C’est pas de la croisière et Gildas (plusieurs courses du Figaro, avec victoire d’étape, à son actif, ndlr) a sorti les crocs… ».
Corto flashé à 16,6 nœuds ! Une motivation que l’on retrouve chez Faïaoahé, même si l’on lève un peu le pied la nuit : « Nous démarrons la nuit sous grand voile 3 ris + yankee. Ciel assez noir, vent établi à 25 nœuds, 30-35 sous les grains. La météo annonce possiblement jusqu’à 40 dans la nuit. Alors nous allons rester prudents. Et même sous cette combinaison de voiles, 8 à 10 nœuds sur la route, ça continue à filocher. De moins en moins de lune jour après jour. Dommage, c’était splendide ces nuits toute claires. » Un peu avare de nouvelles depuis le départ, l’équipage de Corto a fait le dos rond dans les premiers jours, mais Bruno Jourdren, Champion du monde de Sonar en 2013 et 2014, médaillé d’argent aux Jeux Paralympiques de Pékin et premier de la Transat Ag2r en 1998, confirme que rien n’est joué : « Ici tout se passe bien après trois jours un peu mouvementés, vous vous en doutez. Nous avons décider de la jouer cool vu la météo et la mer attendue. Nous avons eu quelques misères, mais sans conséquences. Le bateau est à nouveau à 100%. Nous sommes actuellement sous spi avec un vent qui varie en intensité entre 20 et 27 nœuds. De la balle ! Ça glisse entre 9 et 12 nœuds, voir mieux de temps en temps. Le record du Corto a été battu il y a deux jours par Malik avec un flash à 16,6 nœuds. Chacun d’entre nous a pris ses marques. Nous sommes maintenant en mode course total ! »
Mauvais choix pour Amazon ? Pour Amazon, la route Nord continue d’être la plus intéressante et le grand yawl Stephens tente de s’accrocher aux basques d’Altair, très loin dans le Sud, pour lui reprendre sa place de leader en temps réel. Avec des routes aussi différentes, chaque changement météo peut tout faire basculer et les dernières prévisions, jusqu’ici favorables aux grands bateaux, mais avec une résistance farouche des petits, annoncent une prochaine perturbation dans les alizés. D’où arrivera-t-elle ? Une diminution d’intensité permettra-t-elle de ralentir les grandes – et lourdes – unités au profit des plus légères ? Cette Panerai Transat Classique 2015 réserve encore son lot de rebondissements.
Ils ont dit :
Emmanuel Fontaine, Argyll « Je suis content de notre place et surtout de l’équipage qui a fait marcher le bateau au max cette nuit ! Jusque-là, on avait temporisé un peu, suite à quelques petits bobos genre écoute de spi qui casse : les filières, c’est un problème, mais maintenant tous les passages d’écoutes sont parfaits et on peut faire marcher ! Nous sommes à 9 nœuds régulièrement avec des pointes à 11 nœuds : chacun aura à cœur de battre les 17,1 d’il y a 24 h ! On navigue avec 20 nœuds de vent dans une belle mer formée un ciel bleu avec plein de petits cumulus splendides . »
Jeremiah Bailey, Adventuress « Il y a des « ding ! » et des « bing ! », des « boum ! » et des « bang ! », des « clac ! » et des « tap ! », des « crac, boum, hue ! », et tout ça juste pour sortir de sa couchette et prendre son quart. Les vêtements s’accrochent aux membrures et aux barrots. Les chaussures sont en solde sous la table à cartes. »
Nicolas Kenedi, The Blue Peter «Joie et champagne ! Nous venons de passer le cap des 2 000 miles restant ! Les débuts ont été ultra musclés : mer croisée, rafales à 40 nœuds, bateau bougeant dans tous les sens et estomacs en vrac. Depuis ce matin, tout est rentré dans l’ordre et nous avons fait un grand déjeuner. Ça fait du bien. Au registre des petits miracles et joies simples : un banc de dauphins nous a accompagné pendant 20 minutes. »
Stephane Benfield, Altair « Nous guettons avec impatience la mise à jour quotidienne et tout l’équipage est très excité de voir ce que chaque bateau fait par rapport aux autres, qui a fait une belle remontée, qui a reculé. Je suis sûr qu’aujourd’hui sera encore une nouvelle histoire. Plusieurs fois, notre grande goélette Fife a dessiné des sourires sur les visages des barreurs, quand nous dégringolions des vagues. Elle s’est aussi rappelée à notre bon souvenir pour que l’on lève le pied. »