TECHNIQUE VOILE – Qu’est ce qu’un bon tacticien sur un voilier de régate? Pour ce poste ô combien important sur un lourd voilier classique dont la règle d’or et encore plus que sur un voilier récent est l’anticipation, voici des conseils de Philippe Presti, entraîneur des plus grandes écuries de l’America’s Cup . Texte: Emmanuel Van Deth. Photos: YACHTING Classique
Voilà un poste aussi envié que… risqué! Le tacticien est en effet le seul poste exclusif, c’est-à-dire qu’il ne prend pas part – sauf exception – à la manœuvre ni au fonctionnement du voilier. « C’est le seul qui ne fait rien sauf du rappel, s’amuse Philippe Presti, double vainqueur de la Coupe de l’America, et récemment entraîneur principal du defender Oracle, les relations peuvent vite devenir tendues quand ça ne marche pas bien… ». Le job du tacticien, c’est de gérer les phases de départ puis de dire où aller, quand virer, empanner. Nuançons tout de même un peu. Selon la taille du bateau, le boulot du tacticien est très variable. A bord d’un voilier équipé de quatre équipiers, le poste n’existe pas vraiment – en tout cas nominativement. Il est dédié au régleur de grand-voile – parfois au barreur – sur les unités un peu plus grandes.
IMPOSER LE RESPECT À L’ÉQUIPAGE
C’est à partir de six équipiers que le tacticien officie pour de bon. « Les meilleurs comme Vasco Vascotto tournent sur les différents circuits, explique Philippe, ils sont souvent issus du circuit olympique; il est primordial, à ce poste, d’imposer le respect à l’équipage. En général, le tacticien est doté d’un fort caractère ». Pour autant, il doit user de finesse psychologique et de pédagogie quand le propriétaire est à bord. Le tacticien prend les décisions – seul le barreur, dans les situations de contact tendues, reprend (logiquement) les commandes. A noter: cette hiérarchie est particulièrement respectée sans les pays anglo-saxons – moins dans les contrées latines, où les équipages sont souvent moins structurés.
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L’HOMME QUI TRANCHE
A bord des grosses unités, la cellule arrière comprend toujours le barreur et le tacticien, mais également deux têtes pensantes de plus, le stratège et le navigateur. Le premier étudie les parcours, les changements de vent alors que le second positionne le bateau par rapport au parcours; il indique également les courants et les dangers – haut-fond par exemple. Là encore, à l’issue du partage des informations, c’est habituellement au tacticien qu’il revient de trancher. Mais tout dépend du calibre des personnalités du bord…
«Un bon tacticien est celui qui utilise toutes ses connaissances, poursuit Philippe Presti. Il est capable de switcher le mode attaque/défense, marquer la flotte ou au contraire s’échapper s’il y a un coup météo à jouer.»
Certains ne doutent jamais, d’autres un peu plus… «Mieux tu connais le fonctionnement du bateau, meilleur tu es. Le bon tacticien a un excellent sens du timing, il connaît la capacité de manœuvre de l’équipage. Il maîtrise donc les compromis et tranche intelligemment le ratio risque/gain d’une option. Il impose ses choix tout en respectant l’équipage, donne des tuyaux mais pas la leçon. Il sait mettre une tension positive à bord et bénéficie d’un bon soutien du barreur. Certains se le jouent hyper solo, d’autres sont omniprésents ou habités par leurs certitudes, stressés, tendus, ésotériques…»
LA CHASSE À L’INFORMATION
Revenons aux plus petits voiliers et plus particulièrement au solitaire. Le boulot de tacticien reste primordial. «Avant la régate, j’étudie les cartes, les effets de site et de courant. L’expérience du plan d’eau peut être utile. Je relis mes notes si j’y ai déjà régaté. Sinon, je dispose d’un réseau de marins qui me donnent des infos locales.»
Le poste de tacticien est certainement un des plus passionnants du bord; la liberté d’action offerte permet de prendre de la hauteur, de tenter de maîtriser au mieux les situations.
Certains tacticiens sont des puristes – voire des extrémistes: le Brésilien Torben Grael, surnommé «la Turbine», est de ceux-là. «Une fois, à bord de Prada, se souvient Philippe Presti, on était paisible devant, en bord de cadre. Et là, Torben m’a décalé, avec une prise de risque maximum, parce qu’il avait vu la bascule de vent. Il voulait y aller, pour la beauté du geste …». Chapeau l’artiste!
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