TRADITION – Nos amis d’outre-Manche ont une jolie expression pour désigner un voilier classique entretenu dans les règles de l’art. Ils disent qu’il est «shipshape and bristol fashion». L’origine remonterait au dix-septième siècle, et les spécialistes se déchirent sur sa signification originelle. En France, nous sommes riches aussi en dictons et en aphorismes. Ces petites phrases sont pleines de sens. Elles nous aident à mieux naviguer, et surtout, elles nous mettent en joie. Texte François Le Brun
Avec le roi Jean (Le Cam), le conte est bon. Son art du soliloque, tout au long du dernier Vendée Globe, a captivé un public bien plus large que le premier cercle des amateurs de grand large. Certaines trouvailles continuent d’ailleurs leur carrière dans les bureaux ou à la machine à café. D’autres ont atteint l’âme des marins en plein cœur, tellement elles étaient sincères, riches de signification. Ainsi sa formule pour résumer l’avantage de la navigation en solitaire : « quand tu fais une c***, il n’y a personne pour la voir». Sauf qu’en le disant à l’oeilleton de la web cam, il confessait à des millions d’internautes que lui, le multirécidiviste des tours du monde, il lui arrivait encore de commettre des erreurs! Du coup, cet aveu prenait sens. Il devenait une incitation à l’humilité, une leçon à méditer pour les générations montantes.
En fait, son goût pour le parler vrai s’inscrit dans la plus grande tradition maritime. La transmission du savoir nautique ne s’est pas toujours faite par écrit. Longtemps, la parole a été d’or. Surtout lorsqu’elle synthétisait la somme des expériences accumulées par les aînés. Or pour mémoriser ces connaissances, quoi de mieux qu’un dicton court, facile à retenir ? C’est pourquoi, pendant des décennies, la météorologie, la science de la navigation ou l’art de la manœuvre ont été enseignés à coups de petites phrases. Si nous voulons être les gardiens du patrimoine de la belle plaisance, nous devons aussi sauvegarder cette culture orale. Voici une brève contribution qui ne demande qu’à être alimentée en permanence par vos soins!
Dictons météorologiques: quand le marin n’est pas toujours dans son élément
La science progresse tous les jours. Mais chaque fois qu’elle avance, elle ne périme pas les dictons de nos anciens. Au contraire, elle confirme leur pertinence. Tout le monde connaît la maxime bien macho «ciel pommelé, femmes fardées ne sont pas de longue durée». Elle annonce un changement imminent de temps (du beau vers le mauvais). Il y a aussi «soleil en haubans, marin, prépare ton caban», qui est plutôt bien vu. C’est sans doute lui qui avait inspiré à Gilles Gahinet cette version techno : «Ciel de traîne, marin mets ton neoprène».
Vainqueur de la première transat en double en 1979, avec Eugène Riguidel, le navigateur morbihannais régnait aussi en maître sur la solitaire qui s’appelait alors la « Course de l’Aurore ». Il a été emporté trop tôt par la maladie, en 1984. La vie ne lui a pas permis de méditer le sens profond de cet aphorisme: «Si tu veux faire un vieux marin, arrondis les caps et salue les grains». Sinon, nous avons aussi en magasin, mi sérieux mi plaisantin :
-Petite pluie abat grand vent.
-Vent contre courant, t’en prends plein les dents.
-Si tu veux beau temps, navigue souvent
-Qui trop écoute la météo, passe sa vie au bistro.
-Temps pas net, reste à la buvette.
-(variante) Horizon pas net, reste à la buvette.
-Quand surfent les oursins, reste à terre marin.
-Pingouin dans les champs, hiver méchant.
-Mouettes au lac, la mer en vrac.
-Casquette à l’envers, c’est qu’il y a de l’air.
-Penon en bas, reste au ponton.
Proverbes pour mieux naviguer: procédés mnémotechniques et emprunts à l’almanach Vermot
On ne prête qu’aux riches: Olivier de Kersauson a tellement régalé les auditeurs des radios, mais aussi les clients de son restaurant à Brest ! Il est probable qu’il ait prononcé toutes les brèves de comptoir qu’on lui prête.
…. LIRE LA SUITE DANS YC 72