Les yachtmen aiment raconter leurs bateaux. Parfois, ce sont les bateaux qui racontent leurs propriétaires, tel le Reder Mor du roman de Jean Merrien. Les uns ne vont pas sans les autres. Les histoires de bateaux sont avant tout des histoires de marins.Voici celle de Georges Tissier et son Star découvert au Salon Nautique de Paris 1929. Texte: Pascale Menguy Guittoneau. Photo: CVP et DR

Grâce aux carnets de voyages et aux livres de bords conservés dans les bibliothèques, on explore avec Charcot, on poursuit le Rayon Vert ou on se penche par-dessus l’épaule de la championne suissesse Ella Maillart qui peint à la gouache les anneaux olympiques de 1924 sur un cahier bleu. Ces récits, qui à l’origine n’étaient pas destinés à être publiés, sont des moments de vies qui ont fait rêver quelques générations d’hommes et de femmes, et leur ont fait prendre la mer.
Alors que l’on recherchait un document dans un carton d’archives, un carnet noir a attiré l’ attention. Les lettres embossées de la couverture avaient été habilement détournées et passées à la peinture dorée. Le mot MENUS était devenu PITRE.
Sur la page de garde, à l’encre bleue, quelques mots tracés d’une écriture presque enfantine: Carnet de bord du navire à voile « Pitre » de la série des stars.
Le narrateur est Georges Tissier, un jeune homme de vingt ans. Dès la première ligne, il plante le décor: «En décembre 1929, le IVème Salon Nautique ouvrait ses portes.»
Nous voilà embarqués dans une nouvelle aventure. Cette année-là, le Cercle de la Voile de Paris exposait au Grand Palais. Talita, le Star d’Enrique Conill, le vice-président du club, occupait le stand.
Ce yachtman cubain, avec l’aide de Jean Savoye président du CVP, se démenait depuis plus d’un an pour imposer ce quillard américain de 1911 et il avait choisi son club comme tête de pont pour conquérir l’Europe.
À la fin des années 20, Enrique et Fernando Conill étaient connus comme propriétaires de plusieurs 6mJI. L’un était installé à Paris, l’autre à Cannes, et leurs noms apparaissaient régulièrement au palmarès des régates internationales.
En 1924, Enrique avait participé aux épreuves de Voile des Jeux Olympiques sous les couleurs de Cuba. Mais en 1928, il avait préféré engager son 6mJI Yara III aux éliminatoires de la One Ton Cup qui se courait en France grâce à la victoire de Virginie Hériot, l’année précédente, plutôt qu’à celles des Jeux.
La barre de Yara avait été confiée à Franck Guillet qui avait mené le bateau à la première place. Le journal Le Yacht citait le 23 juin 1928: «Ce skipper émérite n’a pas fait une faute de manœuvre et la plus grande part de ce succès lui revien».
Pour Enrique Conill, le premier jour de l’été 1928 avait marqué une double victoire.
Si remporter la One Ton Cup était un grand honneur, voir son Star tout juste arrivé des États-Unis et maintenant amarré au ponton du CVP était encore plus satisfaisant.
L’admission d’un bateau dit populaire au sein du Cercle, n’était pas au goût de tous les dirigeants. Il avait dû batailler pour imposer son choix. Il était persuadé que ce petit bateau de course permettrait à de jeunes skippers, lassés d’équiper les gros yachts de riches propriétaires, de se mesurer à armes égales sur un monotype performant.
Grâce à la présence de Talita et des premiers Star construits aux chantiers Collignon, la flotte de Paris était née rapidement. Celles de Cannes, Nice, Arcachon, Deauville et Villefranche avaient suivi.
En ce début d’année 1930 alors que Georges Tissier venait de commander son Star au chantier, il écrivait dans son journal :
«Avril vint… Socoa s’installa à Boulogne et durant un mois nul ne sut de quel bois se formerait le Pitre.»
Enrique Conill s’était aussi posé cette question. Sa nombreuse correspondance montre ses hésitations. En 1929, il trouve la construction des nouveaux Star américains trop faible: «Ils sont tous en sapin, même le fond, et ça joue trop par forte brise». Par contre, la bôme à rouleau lui plaît.
Pendant plusieurs mois, Conill teste, essaie les bateaux de New York et de La Havane. Il choisit un chantier en France, Navale Socoa, il achète et offre des jeux de voiles, et adopte le nouveau mât marconi.
Toute cette préparation, cette approche méthodique n’apparaît pas dans le carnet de Tissier. Le jeune homme en est à choisir une marraine pour Pitre. On ne saura pas de quel bois avait formé le Pitre, mais le champagne avait été une bouteille d’Heidsick monopole 1919, « savourée » en compagnie de son ami d’enfance Jacques Lebrun et des sœurs Germaine et Madeleine Richardière.
Georges a tenu son carnet aussi scrupuleusement que possible. Ses équipiers, ses adversaires sont tous cités. Les temps de parcours des courses, les places, la tactique, la météo, le bilan annuel, tout est noté. Quand on connaît le plan d’eau, à le lire, on s’y voit.

On découvre donc, à bord de Pitre, le premier Bol d’Or à la voile du 14 et 15 juin 1930.
24 heures de course en Star, changement d’équipage interdit. Les articles des journaux de l’époque décrivent un temps épouvantable. Malgré les orages qui avaient éclaté pendant la nuit, on avait dansé sans interruption au club. De son côté, Tissier ne décrit que des manœuvres endiablées, des concurrents à surveiller et sa lutte contre le sommeil.
À terre, les invités s’amusent. Lui, blâme sa grand voile détrempée qui se déforme…
Lire la suite dans YACHTING Classique N°104 . À commander en cliquant sur ce lien
Patrick Haegeli: « Que c’est compliqué un Star!«
En 1992 , Patrick Haegeli participait aux Jeux Olympiques de Barcelone à bord du Star. Il arrivait 18 ème sur 26. Une performance oubliable…pour des souvenirs intacts.

Le Star, dessiné en 1911 par Francis Sweisguth, a été le bateau laboratoire du yachting moderne. Les spectaculaires innovations, telles que la barre d’écoute sur toute la largeur de la coque, le hâle-bas rigide pour la bôme, le blocage des drisses en tête de mât pour réduire les effets de compression, le foc libre sur l’étai, et le stick de barre ont révolutionné la technique des bateaux de compétition.
C’est aussi sur le Star qu’ont été installées les premières voiles en tissu synthétique et sur lui encore que le mât souple apparaît à l’occasion des Jeux Olympiques de 1936, permettant à son équipage de remporter la médaille d’or. Près de 8500 Star ont été construits depuis l’origine de la série et une centaine naviguent en France. Le Star a été série olympique de 1932 à 2012.
YC: Qu’est-ce qui vous fait choisir le Star?
Patrick Haegeli: C’est une classe ancienne, mais qui a une notoriété formidable. C’est une véritable confrérie. Lorsque l’on est régatier aux États-Unis, il vaut mieux faire partie de la Star Class que d’avoir une carte American Express. Je suis passé au Star parce que j’avais un peu fait le tour des Soling. Et puis, tous les bons barreurs sont passés par la Star Class.
Quand on regarde un Star, la question que l’on se pose est: Comment va-t-on faire avancer cette machine? C’est un vrai défi!
YC: Pour quelles raisons n’auriez-vous pas choisi le Star?
PH: À 40 ans, je trouvais que c’était un bateau de vieux. J’allais retrouver en régate des adversaires plus âgés que moi. C’est un bateau qui ne va pas vite. Il n’a pas de spi. Mon dieu, que ça a l’air compliqué, tous ces réglages!
Caractéristiques du Star: Création : 1936; Longueur de coque: 6,92m; Longueur de flottaison: 4,72m; Bau: 1,01m; Poids: 672kgs; Voilure: 28,85m2