VOILIERS D’EXCEPTION – Depuis une vingtaine d’années, les «J Class» sont régulièrement sous le feu des projecteurs. L’été 2012 restera comme le point fort de cette improbable résurrection: quatre de ces mastodontes tout droit sortis des années trente, un ‘original’, Velsheda (1934) et trois répliques récentes, Rainbow, Lionheart – copie de Endeavour II (1936) – et Ranger, se sont affrontés sur les côtes anglaises fin juin à Falmouth puis dans le Solent au terme du mois de juillet. C’était la première fois depuis 80 ans! Par Jacques Taglang . Photos: Archives Jacques Taglang.
Comment expliquer ce regain d’intérêt pour des voiliers issus de la Jauge Universelle imaginée par Herreshoff en 1903 et qui ne firent leur première apparition qu’en 1930? Seules 10 unités seront construites, illuminant de leur splendeur, telles des stars hollywoodiennes, le monde du yachting et plus particulièrement celui de l’America’s Cup au cours d’une trop brève décade.
PURS SANGS MASTODONTES
A l’automne 2002 à Saint-Tropez, j’ai eu l’immense privilège de monter pour la première fois à bord d’un J Class: Shamrock V! Alors que le mistral se levait sur le parcours, nous avons empanné à la bouée sous le vent après avoir rentré le spi à l’issue d’une manœuvre magistrale, puis nous avons tiré un premier bord de près, cap sur la vieille citadelle. Au bout d’une minute ou deux, j’ai pu alors sentir sous mes pieds ce mastodonte de 146 tonnes filant à près de 10 nœuds, vibrant de façon imperceptible sur sa quille comme un vulgaire dériveur. Toute la puissance du bateau s’est alors transmise aux quelque trente cinq personnes du bord conscientes d’éprouver une impression inoubliable, décuplée par la légende qui colle depuis toujours aux voiles de ces coursiers d’un autre temps. C’est alors que les propos qu’Olin Stephens m’avait tenus un an plus tôt à Cowes, me sont revenus à l’esprit: «La célébration du Jubilé de l’America’s Cup qui se déroule à Cowes (en août 2001) marque le 150e anniversaire de la fameuse course autour de l’île de Wight, récompensée par la «One Hundred Guinea Cup» gagnée par le yacht yankee America devant la flotte du Royal Yacht Squadron. Mais le point d’orgue de cette célébration restera la présence active de trois J Class lors de ces festivités.»
Au cours de la décennie précédant la Seconde Guerre mondiale, trois défis ont été disputés en «J» – 1930, 1934 et 1937 – hissant définitivement l’épreuve reine de la plaisance dans l’ère moderne tout en préservant le mythe: depuis 1930, l’épreuve est disputée en temps réel et le match race reste toujours l’apanage de machines perfectionnées armées par de riches yachtsmen passionnés.
Au-delà, l’America’s Cup est restée un exceptionnel laboratoire de recherche. Les J Class des années trente ont développé de nombreuses innovations devenues depuis, pour la plupart, monnaie courante. Ainsi, les immenses gréements Marconi, étais et haubans en tiges rigides, l’augmentation des étages de barres de flèche: 2 en 1930, 4 en 1937 ; les grandes bômes typées («Park Avenue» sur Enterprise en 1930, permet de régler la bordure de la grand voile pour lui donner une forme aérodynamique, « North Circular » sur Rainbow en 1934 (bôme souple réglable par des étais latéraux) ; les mâts en aluminium (plaques rivetées et formées) pour Enterprise en 1930, Rainbow en 1934 et Ranger en 1937 ; le foc quadrilatéral à deux écoutes pour Endeavour en 1934, imité par Rainbow ; le foc génois à fort recouvrement pour Rainbow (1934) ; les premiers spinnakers en tissus synthétiques à bord de Ranger en 1937 ; les premiers instruments électriques (répétiteurs placés devant le barreur) – girouettes, anémomètres – à bord de Whirlwind en 1930 puis de Endeavour I en 1934; l’analyse historique de la météorologie du plan d’eau et gestion moderne de l’équipage – un poste = un homme – (Vanderbilt en 1930); l’usage de winches à plusieurs vitesses sur Endeavour II en 1934; les nombreux transferts de technologie aéronautique à bord (Sopwith en 1934 à bord de Endeavour II).
Bien qu’il n’y ait eu que dix J Class dessinés et construits entre 1930 et 1937 (4 britanniques, 6 américains), seuls trois «J» comme le soulignait Olin Stephens, sont parvenus jusqu’à nous, dont deux ont disputé la Cup! «C’est Elizabeth Meyer qui, en entreprenant de restaurer Endeavour, a rallumé – avec quelques autres il est vrai – l’intérêt grandissant porté aux yachts classiques ou de tradition, de toutes tailles et de toutes catégories,» précisait Olin.
ENTRE NOSTALGIE ET HAUTE COMPÉTITION
La renaissance des «J» est sans doute l’expression d’une certaine nostalgie du passé. Mais un passé capable de se mesurer aux dernières tendances de la plaisance moderne! Les restaurations successives de nos trois rescapés sont certainement à l’origine de la création de la ‘J Class Association’ – JCA – à l’initiative de l’Anglais David Pitman en 2000. La JCA a opportunément redéfini la jauge des «J» pour mieux répondre aux attentes des armateurs d’aujourd’hui, notamment en matière d’emménagements et de recours à des matériaux modernes. L’association a par ailleurs validé les plans des «J» disparus mais également des projets de l’époque jamais construits et depuis lors retrouvés (19 plans inventoriés – 10 construits à l’origine et 9 projets restés en l’état). Le reste n’a été qu’une répétition de ce qui s’était passé dans les années trente, surtout après les premiers affrontements d’Endeavour et de Shamrock dans les années quatre-vingt dix, affrontements qui ont engendré de nombreuses vocations. «Ce phénomène est propre aux compétitions de J Class,» commente David Pitman. Ces bateaux sont des jouets destinés à la compétition et sont la propriété personnelle de riches businessmen qui se rencontrent de temps en temps et régatent les uns contre les autres pour une bouteille de champagne. «A leur époque, c’étaient des bateaux de très haute technologie, l’équivalent des actuels bolides de Formule Un et aujourd’hui, le principe qui sous-tend leur construction est tout-à-fait le même. Ils sont équipés de mâts en carbone soutenus par un gréement de même matière, au top de la haute technologie!»
Désormais, depuis le lancement de la réplique de Ranger en 2003, la flotte des Classe J s’est considérablement étoffée et va encore accueillir de nouvelles unités. Confortés par de prestigieux noms du passé – les Sir Thomas Lipton, Thomas Octave Sopwith, Harold «Mike» Vanderbilt, pour les armateurs et les Charles E. Nicholson, Frank Cabot Paine, William Starling Burgess, Olin James Stephens II voire Tore Holm pour les concepteurs – tous ces voiliers disposent d’une incontournable légitimité pour asseoir leur prestige et convaincre les armateurs d’aujourd’hui à se lancer. Mieux ! Ces nouveaux coursiers affichent des performances qui n’ont rien à envier aux super yachts modernes.
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