HISTOIRE – Conçu à l’origine pour être une annexe de yacht, le Dinghy continue de faire les beaux jours des régates de monotype en solitaire ou à deux équipiers. Retour sur ce dériveur phénomène, notamment aux Pays Bas, et en Italie. En France, du côté de Douarneney, une équipe d’acharnée a décidé de le relancer. Par Jacques Bonis . Photos de l’auteur et archives. Plans : archives et François Chevalier
Comment expliquer que le Dinghy de 12 pieds cette petite merveille de construction navale, monotype naguère olympique soit demeuré quasiment inconnu en France pendant presque un siècle? Des milliers d’adeptes pratiquent la régate en Dinghy. A la fois jeunes équipages ou septuagénaires, ce sont tous des «mordus» de ces fameux dériveurs dont certains exemplaires construits dans les années vingt sont de véritables joyaux: bichonnés, entretenus avec tant de soin et d’amour qu’on les imaginerait presque dans des musées. Pourtant, magie de cette série strictement monotype, ils naviguent et régatent encore régulièrement. Car ici, le plaisir esthétique, l’amour du bois verni, la joie de la possession d’un bel objet le disputent largement au plaisir de la navigation!
C’est en 1912 que la toute nouvelle «Boat Racing Association» lança un concours d’architecture pour développer sur de petites unités un yachting jusqu’alors synonyme de grands yachts, apanage d’une bourgeoisie fortunée. Le cahier des charges précisait «un voilier au gréement simple, de construction économique, permettant tout à la fois la régate, la promenade à la voile ou à l’aviron et pouvant également être utilisé comme annexe de grand yacht». Ce concours fut remporté l’année suivante par un amateur peu connu : George Cockshott qui proposa un dériveur à clin de 3,64 mètres doté d’une voile au tiers. Le «A Class one design dinghy» était né et bien que n’ayant pas des performances exceptionnelles, il allait connaître un extraordinaire développement et devenir, le premier monotype international de l’histoire du yachting.
VINGT CINQ LIVRES L’UNITÉ
Les tout premiers dinghies jamais construits furent commandés au chantier Roberts de Chester et chez Sheherd à Bowness qui lancèrent successivement huit unités dès l’année 1913. De vraies merveilles, bordages en spruce, tableaux en acajou à 25 livres l’unité, dénommés: Dreadnought, Thunderer, Belerophon, Orion, Neptune! Patronymes chers à la Navy et c’est probablement grâce à celle-ci que déjà, au cours de l’été 1914, on vit huit 12-Footer régater en Inde sur le plan d’eau de Karachi.
La diffusion du 12 pieds en Suisse, en Belgique, en Allemagne, et particulièrement en Hollande dès l’année 1914 fut une réussite spectaculaire, au point qu’en 1919, la neutralité des Pays Bas pendant la guerre de 14-18 aidant, on comptait déjà dans ce pays pas moins de 180 bateaux, alors qu’en Grande Bretagne il stagnait à 20 unités. Les flottes actives de Belgique et de Hollande, organisaient des régates interclubs dont certaines comme les rencontres entre le Yacht club de Haarlem en Hollande et le Royal Yacht club de Belgique à Anvers sont restées célèbres et se sont perpétuées pendant des décades. La série attirait alors les plus grands barreurs Belges et Hollandais comme le triple médaillé d’or olympique Léon Huybrechts ou l’autre célébrité Belge Frank Murdoch qui prit part en 1934 et 1938 à la coupe de l’América sur les deux Endeavour.
Au fil des ans et des compétitions nombreuses entre flottes principalement Belges, Hollandaises, Allemandes et Italiennes et avec l’arrivée de nouveautés techniques, la jauge évolua permettant un certain nombre d’innovations suscitant à chaque fois des débats passionnés. L’association Hollandaise des 12’ « gardienne de la jauge » veillait à prévenir tout dérapage susceptible d’augmenter les prix à la construction. Elle cherchait au contraire à spécialiser certains chantiers afin, d’obtenir une baisse des coûts soit par la construction en grandes séries, soit par la livraison de bateaux « à terminer » par l’acquéreur, notamment à vernir.
Survint la seconde guerre mondiale, mais dès le retour de la paix, la série des dinghies de 12’ redevint la première série monotype européenne ! Au nord comme au sud et jusqu’en Sicile, l’organisation de régates reprit bien vite et le dinghy, alors à son apogée connut des années d’or… Le niveau élevé des compétitions qui attirait toujours les meilleurs barreurs suscita d’épiques empoignades et concentrèrent plus de public que les matches de football !
CLASSIQUE ET SPORTIVE
Comment expliquer l’incroyable succès de ce petit bateau ? La réponse tient en deux lignes : C’est une embarcation classique mais aussi sportive, permettant la promenade mais aussi la régate avec, par sa conception visiblement héritée de la marine en bois un ancrage dans la tradition des anciens voiliers de travail dont elle est issue. Sa relative grande largeur, 1,41 m au maître bau et 1,26 m à la flottaison, qui lui confère une bonne stabilité de formes et un franc bord généreux en font une coque capable de porter une voile de 9,29m2 soit une belle surface au regard d’une longueur plutôt modeste de 3,64 m hors tout. En outre, c’est un bateau très vivant et extrêmement agréable à barrer.
Ce sont ces caractéristiques d’une construction classique et d’un aspect général soigné qui ont décidé les meilleurs chantiers à s’intéresser à sa construction. En Hollande, l’un des tout premiers et incontestablement le plus prolifique fut le célèbre chantier W. de Vries Lentsch de Nieuwendam, dont le patron fondateur éponyme fut dans les années 20 quatre fois champion national. Autres chantiers Abeking & Rasmussen de Brême, De Voogt à Haarlem, G. Deichmann à Hillegesberg, ainsi que Van der Meer à Oude Wetering et Schalk à Aalsmeer lesquels, aujourd’hui, restent les deux derniers chantiers à construire encore des dinghies de 12’. Mais le plus connu en France fut certainement E.G. van de Stadt de Zaandam aux Pays Bas. En Italie Archetti e Figli, Pippo Mostes, ainsi que les toujours actifs Ernesto Riva à Laglio et Léopoldo Colombo à Grandola sont parmi les plus connus.
L’ARRIVÉE DU PLASTIQUE
A la fin des années 1960, en Italie, un certain désamour affecta progressivement le dinghy qui perdit sa position de monotype le plus populaire et le plus répandu dans le pays, au profit de dériveurs nouveaux.
Parallèlement aux bateaux traditionnels construits en bois qui était jusque vers les années 60 le seul matériau autorisé, on vit apparaître des coques en plastique. Toutefois, excepté en Italie où ils sont acceptés, dans tous les autres pays d’Europe, seuls les bateaux bois, sont conformes à la jauge et peuvent régater ensemble. Certes, des modifications ont été apportées par rapport au monotype originel, elles sont mineures; les voiles en nylon, tergal ou dacron sont désormais autorisées, elles ont remplacé le coton qui reste en usage pour les rassemblements et manifestations du patrimoine et peuvent recevoir une fenêtre transparente. Sur les coques, obligatoirement vernies, dont l’épaisseur des virures et leur recouvrement sont spécifiés au millimètre, la pose de vides vite a été généralisée et la peinture antifouling est désormais autorisée. Pour autant l’attitude de défense et de préservation d’une certaine tradition adoptée par les autres pays n’a pas stoppé l’enthousiasme des amateurs ! Mieux, elle a suscité des regrets et fait des émules et aujourd’hui, en Italie, les vieux dinghies sont ressortis des garages, les constructions bois ont repris de même que le championnat national qui voit s’affronter à égalité de chances, vieux bateaux en bois et bateaux récents, même en plastique… ! .C’est d’ailleurs un bateau en bois, barré par Guilio Alati qui a remporté le championnat Italien en 2004 !
Malgré la perte de son statut « international » le 20 novembre 1964, la série est restée dynamique et des rencontres internationales se déroulent régulièrement comme à Pâques sur le lac de Garde depuis 1981. Les associations de propriétaires ont été relancées un peu partout et au-delà des Pays Bas où il se construit encore chaque année entre 4 et 6 unités neuves, de l’Allemagne (50 unités existantes environ), de l’Italie (500 bateaux recensés), de la Belgique (quelques bateaux anciens), des flottes se sont nouvellement crées en Irlande (quelques unités), au Japon, en Suisse (quelques dizaines) et en Turquie où le dinghy est implanté depuis les années 60 et où le chantier YachtWorks de Bodrum en construit 4 ou 5 par an. On compte également encore quelques bateaux en Grande Bretagne. En Hollande on attribue désormais des numéros de voile qui dépassent les 850… L’association compte 350 membres dont plus de 200 participent régulièrement aux régates. Le Championnat national compte plus de 50 participants. Pour l’année 2005, 23 régates ont été organisées, soit 107 départs. En Italie, le numéro de voile 2000 a été attribué et largement dépassé; l’association compte environ 350 membres actifs.
LES AVIRONS DANS LA JAUGE
Dans cette série, ce sont les Hollandais qui sont les « gardiens du temple ». La jauge concerne la totalité du bateau et de ses « accessoires » et s’exerce jusqu’au nom qui doit être peint en lettres dorées sur le tableau ! En publiant ces spécifications en 1913, le BRA se positionnait comme précurseur en la matière… Les spécifications des matériaux y étaient décrites avec une précision extrême et beaucoup de celles-ci sont toujours en vigueur ; la quille devait être en « bel orme blanc » de 51 mm au milieu (…) ou peut être en pitchpin, si on devait se servir de l’embarcation en eau douce. L’étrave, en chêne anglais tors de 44 mm. Tout est décrit, puits de dérive, bordé (à l’origine en spruce), membrures en orme blanc ployé à la vapeur, les angles abattus…varangues, emplanture, lisses, bancs, guirlandes et courbes formées d’un bois tors en chêne… Tout est passé en revue, le bateau doit naviguer muni de deux avirons et deux dames de nage jaugés selon des standards très précis, jusqu’aux planchers qui sont d’un modèle parfaitement spécifié.
Le poids minimum de la coque seule était de 104 kilos à l’origine, mais avec l’interdiction de l’utilisation de tous les résineux, au profit du seul acajou, il est, pour les nouveaux bateaux de 115 kilos coque nue et de 155 kilos, bateau complet, avec voiles et gréement en état de naviguer. Cette sévérité de la jauge peut sembler excessive mais, au-delà de l’esthétique, elle a eu un incontestable aspect positif : permettre aux modèles anciens de rester compétitifs tant pour ce qui concerne leur valeur sur le marché de l’occasion que leurs qualités à la marche. On a vu ainsi aux Pays-Bas le fameux dinghy portant le numéro H31, qui était en cèdre avec tableau en teck construit en 1928 qui fut deux fois champion national en 1931 et 1932, gagner le championnat national en 1971, cette coque avait alors 43 ans…De tels exemples ne sont pas rares ; en 1984, c’était au tour du n° 259 construit en 1930, soit 54 ans après de remporter le championnat et le record a été battu en 2003 par le dinghy portant le numéro 350, construit en 1934 par E.G. van de Stadt ! De nouveau en 2005, c’est un ancien qui gagne, le n° 468 un van de Stadt de 1943 devant le 834, une construction de 2003…60 ans d’écart ! Bien rares sont les séries où on peut voir tant de bateaux régater avec de tels écarts d’âge.
ENTRE 8000 ET 24 000 €UROS
Le dinghy de 12 pieds est un canot, c’est aussi un vrai voilier. Doté d’une dérive pivotante et d’un safran généreusement dimensionnés, avec le concours d’une voile au tiers astucieusement gréée il fait un excellent cap au près serré. Dérive pivotante et hale bas de bôme sont manœuvrés par des palans doubles avec retour et taquets coinceurs invisibles sous le banc central. L’écoute de grand voile, fixée en bout de bôme par un simple nœud cabestan passe par la barre d’écoute et des poulies sous la bôme avant un retour au plancher, très pratique. La bôme étant légèrement souple rattrape le creux de la voile. Des sangles de rappel facultatives, complètent l’équipement du bateau pour les régates. Les plus beaux dinghies sont construits aux Pays-Bas. Les prix pour un bateau barre en mains tournent autour de 24 000 €. De belles occasions se trouvent aux alentours de 8 000 à 10 000 €, jusqu’à 15 000€ pour de très belles occasions récentes.
L’épreuve des Jeux Olympiques
Afin d’apporter un peu de démocratie dans un sport encore très élitiste, le dinghy de 12 pieds, par un vote unanime des instances supérieures du yachting (IYRU), représentant 11 nations réunies à Londres le 24 octobre 1919,devenait officiellement le Dinghy International de 12 pieds.
Aussi fut-il choisi l’année suivante comme monotype olympique pour les jeux d’Anvers (1920), mais sérieusement concurrencé par le 14 pieds anglais, sa participation fut un fiasco et il perdit bientôt son statut olympique ! Il le retrouva toutefois en 1928 à l’occasion des Jeux d’Amsterdam où il fut retenu en solitaire. La victoire revint au Suédois Thorell. Le barreur hollandais Willem de Vries Lentsch favori, victime d’un chavirage qui lui coûta la médaille espérée ne fut que 4e… La France ne brilla guère et resta dans les profondeurs du classement! «La victoire est revenue » concluait Le Yacht « aux équipiers grands et lourds»… Les participants naviguaient sur des coques fournies par l’organisation (le Royal Yacht-club des Pays-Bas), construites par Abeking & Ramussen selon les spécifications d’alors, c’est-à-dire en spruce avec tableau arrière en teck et identifiés pour la manche finale H201 à H212, dont les numéros 202 et 208 existent encore aujourd’hui et le 209 navigue en Belgique. Tous les concurrents avaient reçu une voile en coton d’Egypte…
Populaire en Italie Lors de ces jeux, la sixième place tout à fait inattendue d’un barreur Italien nommé Tito Nordio dans une série alors inconnue en Italie, allait propulser le dinghy « sous les feux de la rampe », et en quelques années, on assista à la création de flottes dans les principaux clubs nautiques du pays et à l’organisation de régates attirant des barreurs renommés. En 1931, un premier championnat national réunissant une vingtaine de compétiteurs fut organisé par la Fédération Royale Italienne de Voile et au cours des années trente, le dinghy de 12 pieds diffusé à des centaine d’exemplaires connut une popularité phénoménale, devenant pour des décennies le monotype le plus répandu en Italie… Jusqu’à la Marine Italienne qui en posséda une flotte réservée aux officiers pour leur formation!
Après les JO d’Amsterdam, la grande manifestation annuelle à laquelle participait le gratin des barreurs de 12 pieds était la semaine de Kiel. Ce fut pour les Hollandais l’occasion de prendre leur revanche et oublier la déception des jeux. En 1930 et 31 ceux-ci prirent les 3 premières places.
Bonne écriture, bravo!
bonjour,
je viens de faire l’acquisition (un don), d’un Patrone 12′ (dinghy) Italien. je désire le remettre en état, suite a votre article pouvez vous me donner les coordonées de « l’équipe » qui sévit a Douarneney ? avez vous des publications – articles – a me conseiller ( a commencer par la/les vôtres.
en vous remerciant par avance,
francis
bel article….comme beaucoup d’autres.