Bien des architectes navals n’ont pas le pédigrée de Herreshoff, Fife ou Burgess, mais ils ont fait bien fait avancer l’architecture navale. Alors, après plus d’un siècle plaisance, offrons-nous une petite visite dans le monde des vilains petits canards, des avancées loufoques ou… de coups de génies sur l’eau devenus banalités. Louis Aragon ne disait- il pas: «Le propre du génie est de fournir des idées à des crétins une vingtaine d’années plus tard ». Alors cent ans…
Williwaw : le premier des « foiler » moches
Un voilier qui vole doit être superbe! Et bien non! Le premier voilier océanique sur foils n’était ni élégant ni joli, mais il marchait. Williwaw reste un cas isolé. Bizarrement, il n’a pas fait école, et son concepteur n’a pas réussi à convaincre le milieu de la voile. David Allen Kieper (1931-1998) naviguait en 1961 sur le Delaware à bord de son dériveur de 6 mètres en désespérant de ne pas dépasser les 7 nœuds même par vent fort. Peu à peu, il se persuade qu’un trimaran sur foils pourrait résoudre son problème. Ayant déménagé en Californie, il entreprend de concevoir un trimaran à foils en s’inspirant des travaux d’Arthur Piver. Malheureusement, les trimarans de Piver ne sont pas des modèles de beauté. (Tout comme n’aura pas un prix de beauté le Paul Ricard d’Éric Tabarly 10 ans plus tard). Il commence la construction en 1966 à Black Point, dans la Baie de San Pablo, au nord de San Francisco. Les flotteurs étant trop petits, le bateau s’avère trop instable, David redessine des flotteurs plus volumineux. Il a prévu quatre foils en aluminium pour soulever son voilier de 9,54 mètres de long, qui déplace moins d’une tonne. Un premier foil à échelle en V est fixé sur l’étrave. Il possède une incidence positive, et peux pivoter vers l’avant de façon à se trouver au niveau du pont lorsque le bateau est au mouillage. Sur chaque flotteur, un foil en V à échelle vient s’appuyer sur l’extérieur, et peut s’escamoter en pivotant autour de son point de fixation au niveau du pont. Sur l’arrière, le safran est composé d’un foil en échelle qui peut coulisser vers le haut. Pour réaliser ses foils à échelle, David a utilisé deux tôles d’aluminium courbées qu’il a soudé sur les bords d’attaque et de fuite. Lancé en 1967, le voilier répond finalement à toutes les attentes de David. Williwaw passe très bien dans le clapot, survole les vagues de tailles moyennes et décolle par 12 nœuds de vent. Dans la grosse mer, avec la grande amplitude des houles du Pacifique, il se comporte bien grâce à son foil avant qui maintient l’étrave hors de l’eau. Dans une mer formée, par vent faible, David a remarqué qu’il vaut mieux laisser les foils latéraux abaissés, ils ne ralentissent pas trop le voilier, et limitent le tangage. Capable de dépasser 20 nœuds, le trimaran a été chronométré à 18,5 nœuds sur une distance de 250 mètres. Il lui est arrivé une seule fois de se planter au creux d’une vague exceptionnelle, enfournant jusqu’au pied de mât, mais sans dégât. Après une traversée en septembre 1970 de Sausalito à Hawaii en 16 jours, David loue son voilier en charter et retourne l’année suivante en Californie. Il effectue des modifications en 1974 et repart en juin 1975 à Hawaii, puis rejoint la Nouvelle -Zélande en passant par les Samoa et Tonga. Le retour s’effectue par les Iles Cook.
Texte : François Chevalier. Photos : documentation Jacques Taglang, DR et Yachting Classique. Plans : François Chevalier
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