Entre les nostalgiques qui partent avec un sextant, les Class40, les IMOCA, les fous de maxi des années 70-80, les Ultims, ou pour le trophée Jules Verne, il y aura toujours désormais une flotte de voiliers qui courent autour du globe en permanence. un retour vers quelques précurseurs qui ont jalonné la planète mer méritait bien quelques lignes. TEXTE : FRANÇOIS CHEVALIER. PHOTOS : DR. PLANS FC
LE PREMIER TOUR DU MONDE À LA VOILE (1519-1522).
Issu d’une famille de la petite noblesse portugaise, Ferdinand de Magellan (1480-1521) a fait campagne aux Indes pendant sept ans et connaît bien l’enjeu d’un voyage vers les pays des épices. Taciturne et renfermé, c’est un marin compétent, apprécié de ses hommes. Son projet d’atteindre les Moluques par l’ouest, par un passage dans le sud de l’Amérique, est soumis d’abord au roi du Portugal, mais le trafic en contournant l’Afrique est très rentable, aussi, il ne voit pas la nécessité de chercher d’autres routes. Magellan s’adresse alors au jeune souverain d’Espagne, Charles Ier, qui deviendra Charles-Quint, et trouve un soutien auprès de lui.
En fait, depuis le retour de Christophe Colomb, le pape Alexandre VI a délimité l’expansion des deux pays rivaux par le traité de Tordesillas en 1494. Les terres à l’ouest des Açores sont attribuées à l’Espagne, le Portugal ayant la partie est. De fait, l’Espagne pille les Antilles et l’Amérique centrale, et le Portugal fait de même en Afrique et aux Indes. À l’Espagne l’or, au Portugal les épices !
Le 21 septembre 1519, les cinq navires de l’expédition quittent l’embouchure du Guadalquivir. Le plus grand vaisseau, le San Antonio, 120 tonneaux, est commandé par Juan de Cartagena, Grand d’Espagne ; le Trinidad, 110 tonneaux, est plus maniable et porte le pavillon de Magellan, les trois autres, Conception, Victoria et Santiago sont plus petits. L’équipage se compose de 265 hommes, dont Andrés de San Martin, chargé de la navigation astronomique, et Antonio Pigafetta, qui tient le journal de bord.
Après une escale aux Canaries, Magellan laisse les Îles du Cap-Vert à tribord puis met le cap sur le Brésil. Outre le danger de rencontrer des navires portugais belliqueux, Magellan doit gérer, dans sa propre flotte, les trois capitaines espagnols qui ne supportent pas d’être commandés par un Portugais. La traversée du Pot au Noir se fait en restant à vue, chacun s’alignant sur les plus lents des navires. Le 29 novembre, la terre est en vue, mais la côte est pavée de récifs, finalement, la flotte mouille dans la baie de Bahia que les pêcheurs portugais connaissent depuis une vingtaine d’année. Afin de renforcer son autorité, Magellan modifie la répartition des commandements. L’expédition reprend vers le Sud à la recherche d’un passage. Le Rio de la Plata est exploré par le Santiago durant quinze jours, mais il faut se rendre à l’évidence, il s’agit bien de l’estuaire d’un fleuve. L’hiver avec ses tempêtes arrive, et fin mars, Magellan s’abrite dans la baie de San Julian. Les trois capitaines espagnols se mutinent, cependant Magellan redresse. (…)
LE PREMIER TOUR DU MONDE EN SOLITAIRE (1895-1898)
Le nom de Joshua Slocum (1844-1909) résonne dans l’imaginaire de tous les grands voyageurs. Pendant plus de trente ans, cet Américain parcourt les mers comme matelot, lieutenant, second puis capitaine de son propre trois-mâts. En 1893, victime de la concurrence avec les bateaux à vapeur, il projette de repartir à la mer sur un petit voilier, à la recherche de ses souvenirs.
Le Spray est un voilier de travail que Slocum a refait en treize mois, il fait 11,20 mètres de long, avec un bau de 4,32 mètres. Le 24 avril 1895, le voilier quitte Boston pour une escale en Nouvelle-Écosse où il compte se ravitailler.
J’avais résolu de faire le tour du monde, et comme le temps était très beau, j’appareillais à midi.
Il repart le 2 juillet de Yarmouth pour une traversée de l’Atlantique. Il traverse d’abord une zone de brumes insondables, courantes dans ces parages, puis subit ses premiers coups de vent. Le début du voyage est éprouvant, la solitude lui pèse. Lui revient à la mémoire une foule de petits détails de sa vie, avec une précision qui l’étonne. Il revisite les jours heureux vécus à travers le monde. Seule une bonne tempête parvient à atténuer ces moments de nostalgie. Surtout, il croise deux trois-mâts qui se rendent en Europe, son moral revient au beau fixe.
Tour du monde à la voile : entre pirates et noyade
Après une escale aux Açores où il fait le plein de fruits frais, il prend la direction de Gibraltar. Le 4 août, le Spray mouille dans le port de Gibraltar. Slocum est accueilli par les autorités britanniques. Pendant ses trois semaines de réceptions, il apprend que la Mer Rouge est infestée de pirates. Alors que sa première intention était de passer par le canal de Suez, il décide qu’il fera son tour du monde dans l’autre sens. À peine Gibraltar laissé derrière lui, une felouque maure le prend en chasse. Par bonheur, une violente rafale brise le mât du poursuivant, mettant fin au combat. Il met le cap sur le Brésil en longeant l’Afrique jusqu’aux îles du Cap-Vert.
Le Spray navigue le plus souvent barre amarrée, Slocum pense que son voilier a les formes idéales pour son périple, mais n’explique pas cette aisance à le gouverner. Il passe une grande partie de son temps dans sa cabine, à bricoler sur le pont ou aux manœuvres. Après quarante jours de mer, il accoste à Recife qu’il connaît bien. De là, il rejoint Rio et continue vers Montevideo, mais, s’étant échoué le long de la côte, il manque de se noyer en portant une ancre au large. Slocum ne sait pas nager, cependant il note :
Ce moment a été le plus serein de ma vie.
À Montevideo, il achète un poêle pour pouvoir se réchauffer dans la cabine, et à Buenos Aires, il réduit son gréement, et s’attarde un peu. Le 26 janvier1896, le Spray part affronter les hautes latitudes sud. En Patagonie, le voilier est pris dans une tempête où les vagues submergent le bateau à sec de toile. Puis, embouquant le détroit de Magellan, il subit des vents violents. Il résiste et passe, mais une mer monstrueuse le rejette vers le Cap Horn. Il réussit à se réfugier dans un canal, rejoint celui de Magellan et revient pour la seconde fois dans le Pacifique à Port Angusto, où il grée un petit mât de tape-cul.
Tour du monde à la voile : une quête littéraire
Cap au Nord-ouest, il accoste une des îles de l’archipel Juan Fernandez, puis repart vers les Marquises. Il ne s’arrête ni en Polynésie, ni aux Marquises, et continue jusqu’à Apia, aux Samoa où il rend visite à la veuve de son auteur préféré, Robert Stevenson. Il y reste cinq semaines, heureux de parler des récits et voyages du romancier. Le 20 août, il se dirige vers l’Australie, re-joint Newcastle puis Sydney où il a de nombreux amis. Décembre arrive, et il est temps de descendre vers le détroit de Bass pour profiter des vents d’est.
Mais le vent n’est pas au rendez-vous et il fait escale à Hobart qu’il connaît bien aussi. Changeant son plan de route, il remonte au Nord de l’Australie, en empruntant les Whitsundays, ne naviguant que de jour, pour passer le détroit de Torres. Souvent, à chaque escale, Slocum donne une conférence sur son voyage, avec une projection de photos. Il séjourne sur l’île Thursday, et reprend sa route vers les îles Cocos en longeant les Christmas. Il aime ces îles où les crabes mangent les noix de coco et les chiens du poisson. Il atteint l’île Rodrigues, puis l’île Maurice, avant d’arriver à Durban en Afrique. Le 26 mars 1898, le Spray prend la route du retour, en s’arrêtant sur Sainte-Hélène, Ascension, Grenade et Antigua. Le 2 juin 1898, il est devant Newport :
Une heure du matin, je laisse tomber mon ancre, ayant terminé ma croisière de plus de 46 000 milles,… J’ai trouvé ce que je cherchais en naviguant