La rencontre de Danycan avec son propriétaire, Patrick Lamache est le fruit d’une rencontre, voire d’un malentendu. Dans un livre qui est écrit comme enquête sur son beau voilier et sur l’époque qui l’a vu naitre, le skipper– auteur nous fait partager les doutes aussi que l’on rencontre quand on s’attaque à la restauration d’un voilier classique mais avec au bout le naviguer sur un engin plein d’histoire(s). Par Patrick Lamache. Photos DR. Plans: François Chevalier.
Lorsque j’étais jeune plaisancier, j’ai appris à naviguer bien modestement selon les principes du cours des Glénans et les livres de manœuvre de Tabarly. Je m’étais toujours posé la question de savoir comment avait pu apparaître notre légende française de la voile en 1964. Force était de constater que peu de choses avaient été écrites en la matière, même par l’intéressé lui-même. Bien évidemment un premier élément de réponse était son génie mais cela ne suffisait pas à me satisfaire, il y avait certainement d’autres conditions qui avaient facilité l’émergence de cette icône.
Lorsque j’ai acheté la quasi épave de Danycan, son histoire et son palmarès avaient été oubliés et durant les longs mois de recherche d’un chantier et de la définition des premiers travaux de sauvetage, je me suis lancé dans des recherches documentaires. J’ai ainsi exhumé le palmarès remarquable de ce classe 3 ayant contribué après-guerre à la montée en puissance des équipages Français lors des courses du RORC. Un jeune bouffeur d’écoute prénommé Eric, accompagné de son père, embarquait alors régulièrement sur Danycan. Imaginez la surprise quand j’ai appris cela après l’achat… C’est donc en 2009 que je me suis dit qu’un jour il me faudrait partager et écrire l’histoire de mon voilier alors encore dans un état inquiétant…
Le temps a passé, d’abord les 5 premières années de chantier jusqu’en 2013 puis les 5 premières années de navigation, ponctuées d’une dernière intervention importante sur la structure axiale au chantier du Guip en 2017… le temps de hisser Danycan à la 4ème place du CCMA en 2015 et de remporter la classique Plymouth-La Rochelle en 2018. Je cite ces événements non pas comme des performances mais plutôt comme des clins d’œil à l’histoire de ce petit yacht qui fut l’un des premiers meilleurs classement Français au championnat du RORC (4ème en classe 3 en 1960) avec celui de Margilic (quelques années auparavant) et de Striana ( 2ème de la classe I en 1960 également) et qui remporta la Plymouth La Rochelle en 1957 avec Guy Tabarly à bord. Cette montée en puissance de la plaisance française a formé l’équipier Eric Tabarly et lui-même conclut cet épisode par une victoire éclatante en tant que skipper de Pen Duick II dans la transat de 1964. Rien ne sera plus pareil ensuite en matière d’équilibre des forces!
Bref, oui le temps a passé et j’ai enfin auto-publié la monographie de Danycan.
YACHTING Classique publie quelques extraits :
La découverte de ce grand malade, je la dois à mes fils Vincent et Tanguy ainsi qu’à mon épouse. En effet, en ce mois d’août 2008, Vincent s’était inscrit à un concours de pêche à Saint-Pol-de-Léon; Isabelle, très friande de petites excursions, nous avait organisé une escapade en Bretagne nord. De mon côté, je jubilais à l’idée de pouvoir traîner mes guêtres dans les ports et les chantiers navals de la côte, prospectant en vue d’acheter un Cap Corse ou un Cap Horn. Je venais d’ailleurs, quelques semaines plus tôt, de transformer un week-end en Brière imaginé par ma femme en un marathon à la recherche d’un Cap Corse, m’écartant systématiquement de l’itinéraire préparé: investigations au port d’Arzal, au port de Saint-Gildas-de-Rhuys ou expertise d’un Cap Corse d’occasion…/..
En direction de Morlaix, en longeant la rive gauche de la rivière, je décidai de m’arrêter à l’entrée d’une zone de chantiers navals sur la commune de Saint-Martin-des-Champs. Malgré la fermeture des bureaux du chantier Jezequel, j’aperçus une pancarte «à vendre» sur une vieille coque sous bâche.
Je fus immédiatement séduit par cet arrière-canoë caractérisant les lignes des yachts du début XXème siècle et notamment ceux dessinés par l’architecte Eugène Cornu.
De plus, la longueur était le double de celle d’un Cap Corse! Afin d’en avoir le cœur net, je me mis à arpenter et mesurer le long du bateau à la manière de Figaro dans l’œuvre de Beaumarchais: «Le Mariage de Figaro» –acte premier– scène première)…: 9, 10, 11! Onze mètres environ!
Ce petit yacht n’avait alors rien d’un Cap Horn et encore moins d’un Cap Corse: la vieille toile de protection usée laissait apparaître de magnifiques formes, et déjà je m’enflammais à l’idée de consacrer tous mes loisirs à leur redonner leur éclat d’antan.
Je me vois encore faire monter Tanguy, mon fils cadet, sur mes épaules pour qu’il me décrive ce qu’il voyait et qu’il prenne les premiers clichés. Ce qu’il m’en disait retenait mon attention. Cela ressemblait à un grand requin ou à un 5.50mJI. …/…
«Un bateau prestigieux!» C’est ainsi que titrait la revue Le Yacht n° 3768 du 28 mars 1961. Cette revue présentait, dans un article d’une page, les plans de ce cruiser-racer qui avait fait parler de lui, tant en France qu’outre-Manche, pendant la décennie précédente, sous la responsabilité du Comte de Rosanbo. À son bord, avait navigué un homme qui allait devenir une légende! Ce dernier n’était encore qu’un anonyme en apprentissage. …/…
J’aurais certainement préféré acheter un bateau ayant eu peu de capitaines. Quoiqu’il en fût, la liste des noms de propriétaires associés aux dates d’acquisition comprenait 12 propriétaires différents:
- 1: Construction en 1949 par Pierre Delmez, Constructions Nautiques pour M.André Moses.
- 2: du 24/07/1951 à 1952: Joseph Villard.
- 3 et 4: du 22/04/1952 à 1955: Hubert Levesque et Michel de Rosanbo.
- 4: du 14/06/1955 à 1964: Michel de Rosanbo (Comte).
- 5: du 21/07/1964 à 1965: Charles Pilorget.
- 6: du 05/06/1965 à 1972: Jean Chaigneau (Géneral).
- 7: du 12/02/1972 à 1975: Club d’exploitation Sous-Marine de Toulon.
- 8 et 9: du 23/05/1975 à 1977: Pierre Legru et Patrick Okoroko.
- 10: du 02/02/1977 à 1982: Jean-Marie Le Lez.
- 11: du 5/06/1982 à 2008: Yvon Delande.
Ainsi, le 12/12/2008, j’en devenais le 12ème acquéreur. …/…
Alors que je venais d’acheter ce voilier qui m’avait essentiellement séduit par ses élancements et sa finesse, j’engageai mon enquête auprès des anciens propriétaires. La première piste concernant le lien avec la légende Tabarly me fut indiquée par Jean-Marie Le Lez, avant dernier propriétaire.
Danycan et Tabarly
Lors de notre premier échange, il m’annonça sans plus de précisions: «Tabarly a barré Danycan!». Cette information aiguisa ma curiosité. Je me lançai alors dans des recherches qui me conduisirent jusqu’à Yves, fils de M. De Rosanbo qui accepta de me donner les coordonnées de ses parents.
Lors de notre première rencontre Madame de Barbentane me confirma que les Tabarly avaient régulièrement navigué à bord. C’est ainsi que j’appris par l’intermédiaire du Comte, alors âgé de 97 ans, et de son ex-épouse, Madame de Barbentane, que Guy Tabarly avait été un équipier fidèle. Éric, premier des Tabarly à avoir navigué sur le classe III, avait participé à un certain nombre courses en Manche et Atlantique, de même qu’à des transits ou croisières entre deux lieux de compétition durant 1954-1958. À cette époque, Pen Duick n’était alors plus en état de naviguer et il ne retrouvera son élément qu’en 1959. …/…
M. de Rosanbo se souvenait parfaitement, d’un événement vécu lors de la sortie du goulet à l’occasion de l’épreuve de 40 miles de la semaine de la voile de Brest en 1958 : Éric Tabarly est alors à l’avant du bateau, allongé pour ne pas faire de prise au vent… et soudain, M. de Rosanbo voit surgir un voilier à très peu de distance de l’étrave, le foc ayant masqué son rapprochement. Le skipper réprimande alors l’équipier pour lui signifier qu’il aurait pu annoncer au barreur la présence de ce voilier sous le vent et le risque de collision. La réponse ne se fait pas attendre: Éric Tabarly rétorque immédiatement qu’il ne l’a pas fait car il était dans son droit, étant tribord amure. ../…
Danycan, des résultats sportifs impressionants
Les résultats en course de Danycan depuis 1949 sont le fruit d’un seul armateur et des équipages qu’il a alors constitués entre 1952 et 1961.
À cette époque, et après avoir fait un bref passage sous la bannière de la S.N.O. à laquelle adhérait le copropriétaire M. Hubert Levesque, Danycan a principalement couru sous les couleurs de la jeune «Union Nationale des Croiseurs», son skipper étant alors également membre de la S.R.R..
La meilleure place obtenue en 1952, première saison de régates, est un classement de 2ème aux régates de Port-Navalo. Danycan participera au Tour de l’Île de Ré, à Royan-La Rochelle, Bénodet-Yeu-Le Palais, aux journées Nautiques du Palais.
En effet, l’une des premières courses auxquelles Danycan participa fut Bénodet-Tour de l’Île d’Yeu- Le Palais en 1952. Cette course est détaillée dans ses moindres risées et options dans le livre de bord. Ce dernier arrivera 3ème en temps réel derrière Aile Noire et Aquilon de François Sergent, plus de trente minutes devant Kraken II, Vahini II et Askel. Cependant, son coeficient de handicap très récemment déterminé, le placera en 6ème position. …/…
«Pierre Delmez Constructions Nautiques en tous genres» lance Danycan en 1949. Le certificat signé le 19 juillet 1949 précise que la construction a été réalisée pour M.Moses auquel sera délivré un congé le 28 juillet 1949 par les douanes de Marseille. Le peu d’informations sur le chantier que j’avais pu obtenir via l’association «Histoire Aviron» me laissait supposer que l’établissement Pierre Delmez était spécialisé dans les embarcations légères ( yoles, skiffs, runabout, …).